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Parce que l’informatique est une nécessité pour toutes les entreprises, les grands groupes ont compris qu’ils devaient se concentrer sur leur cœur de métier, et faire appel aux entreprises spécialisées dans l’informatique (ESN, SSII) pour les accompagner.  Et pour cela, ces grands groupes ont mis en place des contrats cadre. Avant cela, ils devaient faire appel à de multiples entreprises intervenantes, impliquant de l’administration et pouvant conduire à une hétérogénéité de prix et de compétences.
Objectifs du contrat cadre : Avoir moins d’entreprises informatiques en interlocuteurs, homogénéiser les prix des prestations, et réduire les coûts par des économies d’échelle, et la réduction des doublons. Et en même temps, bénéficier des technologies avancées, aux innovations tout en contrôlant la performance des prestataires et garantir que les services répondent aux attentes.

Rationaliser les achats de prestations informatiques est donc une stratégie essentielle pour les grandes entreprises, visant à optimiser les coûts, améliorer l’efficacité, gérer les risques, favoriser l’innovation, assurer une meilleure qualité des services et optimiser les ressources internes. Cela leur permet de rester compétitives dans un environnement technologique en constante évolution.

Le processus de référencement des futurs prestataires informatiques… le graal pour les grands comptes

Pour avoir participé à la mise en place d’un référencement pour le compte d’une entreprise du CAC 40 (précision : uniquement sur le périmètre restreint des prestations de niveau expert : plusieurs millions d’euros en jeu), j’ai pu voir en interne les raisons qui avaient poussé à cette décision et les objectifs souhaités à atteindre. Il s’agissait d’avoir en frontal une seule entreprise (au lieu de 5), de mettre en place des engagements de service (exemple : quand un service de l’entreprise demande une compétence sur la dernière version d’Oracle, ou d’Unix, il ne s’entendra plus répondre de la part de l’expert : pas le temps…), et d’économiser 20% sur les dépenses. [et j’ai pu avoir un feedback 4 ans plus tard sur ce qu’en avait retiré l’entreprise … j’en parle en conclusion].

Le processus de référencement des futurs prestataires informatiques fut donc structuré et méthodique (je veux croire que c’est la norme), impliquant plusieurs étapes clés pour s’assurer que les prestataires sélectionnés répondaient aux besoins de l’entreprise en termes de qualité, de coût, de sécurité et de conformité.

Il fallut donc, définir les besoins (quelles technologies), faire un cahier des charges (pour que les répondants comprennent les exigences techniques, fonctionnelles et opérationnelles), identifier les prestataires qui pouvaient répondre, puis faire des demandes de propositions (RFP request for proposal/RFQ request for quote), départager, et négocier le prix final, contractualiser, et enfin mettre en production. S’en sont suivies les phases de communication, la fin des contrats pour ceux qui étaient en place avant, et l’élaboration d’un système de suivi pour évaluer la performance des prestataires de manière continue et assurer le respect des termes contractuels.

Le dilemme du prisonnier qui conduit à l’échec dans certains cas

https://fr.wikipedia.org/wiki/Dilemme_du_prisonnier

Partant d’un constat que les grandes ESN maitrisent leur sujet, les grands groupes estiment qu’elles sont les plus à même de fournir une sous-traitance informatique de qualité. Sauf que, comme pour la théorie du dilemme du prisonnier où chacun prend ses décisions en fonction de ses propres intérêts, il peut en ressortir que l’intérêt global et donc le gain pour le groupe (client) est négatif.

Chacune des parties prenantes de ce type d’opération veut défendre ses intérêts:

L’entreprise (Cliente) veut réduire ses coûts, sécuriser son informatique et être plus efficace sur son cœur de métier.
Le prestataire informatiques (ESN) veut de nouveaux contrats, accroître sa part de marché, établir des relations sur le long terme avec des clients stratégiques, améliorer ses services et ses offres.
Le département achat interne de l’entreprise qui lance la procédure de référencement veut optimiser, mieux négocier (moins cher), avoir un contrôle budgétaire, et toucher une prime de résultat.
Le département informatique, qui consommera la prestation informatique veut des ressources fiables et performantes, disponibles immédiatement.
Enfin, les utilisateurs finaux (employés du grand groupe) veulent pouvoir bénéficier de solutions informatiques performantes et adaptées à leurs besoins quotidiens, accompagnés par des prestataires qui leur apportent soutien et connaissances techniques.

L’objectif commun est ainsi d’assurer la réussite et l’efficacité des opérations informatiques de l’entreprise. Et ça marche dans 80% des cas. Pour des prestations informatiques réalisées par des salariés entre 25 et 45 ans pour des besoins standard récurrents : développeurs, chef de projet, coordinateurs.

Quel est l’âge du capitaine et de ses matelots

Pour comprendre pourquoi dans 20% des cas le référencement peut générer des pertes financières pour l’entreprise cliente, il faut s’intéresser à la typologie des profils des salariés des ESN.
J’exclus volontairement le scénario où l’entreprise a fait un choix inadéquat de prestataire (ça arrive) en ayant voulu trop négocier à la baisse le prix, l’ESN qui a remporté le référencement n’est pas à la hauteur et ne peut fournir les compétences attendues.

Les Entreprises de Services du Numérique (ESN) recrutent un grand nombre de professionnels. Pour deux raisons : répondre aux besoins de ses clients en matière de technologie et de services informatiques, et gérer le turn-over (entre 10 à 30% de démission tous les ans).

La majorité des salariés correspond à une main-d’œuvre jeune. Le secteur de l’informatique évolue rapidement, nécessitant des compétences actualisées et une grande adaptabilité. Des caractéristiques souvent associées aux jeunes diplômés.

La moitié des effectifs des ESN est âgée de moins de 35 ans

étude de l'OPIIEC (Observatoire Paritaire des Métiers du Numérique, de l'Ingénierie, des Etudes et du Conseil et de l'Événement)

Les jeunes diplômés sont souvent embauchés à des postes de débutants et reçoivent une formation complémentaire en interne pour répondre aux besoins spécifiques des clients des ESN.

Lorsque que l’acheteur du grand groupe demande, de la part du service informatique, un prestataire de type expert, ou senior, les choses se compliquent. Et deux choix s’offrent à l’ESN pour faire plaisir à sont client :

  • Cas numéro 1: l’ESN sélectionne parmi ses juniors (faute de candidats disponibles) un salarié qui semble pertinent et le présente à l’acheteur en tant que profil expert/senior en espérant que ça passe. Si c’est le cas, jackpot pour l’ESN ; le profil du candidat a un salaire de junior mais sera vendu au prix d’un senior.
  • Cas numéro 2 : l’ESN n’a aucun profil sous la main ; elle va chercher un freelance, appliquer un taux de marge de 20 à 30% en plus de ce que réclame l’indépendant, accompagné du cv d’un profil junior. L’acheteur aura alors le choix entre un profil junior au prix souhaité par l’acheteur et celui d’un profil senior mais beaucoup plus cher (du fait du mark-up). Résultat probable, l’acheteur choisit le junior pour rester en phase avec son budget. Jackpot pour l’ESN… un salaire de junior vendu au prix d’un senior.

Dans ces deux cas, la relation commerciale se passe entre l’acheteur et le commercial de l’ESN. Ils sont la plupart du temps issus d’une école de commerce, et ont de faibles compétences en informatique, mais se comprennent sur un sujet : le budget disponible.
Le prestataire pourrait s’apparenter à « un kilo de viande », que l’acheteur achète au meilleur coût ; Et du fait de son niveau de connaissance en informatique, l’acheteur ne peut que comparer les prix des cv que l’ESN lui soumet

Et le grand perdant de l’histoire, ce sera le service informatique qui se plaindra du niveau du prestataire, mais qui sera dans l’incapacité de négocier un meilleur prix pour avoir le bon profil, du fait du contrat cadre négocié lors du processus de référencement.

Le coût de la perte identifiée par le cas d’un prestataire qui est choisi mais est remplacé 3 mois après, n’est jamais comptabilisé ; ni le coût d’un éventuel retard dans un projet ou un programme stratégique. Or cela permettrait de mesurer le coût global de la prestation sur la durée.

Les solutions pour sortir de l'impasse

Les solutions malheureusement mises en œuvre lorsque les grands groupes constatent ces dérives sont souvent les mêmes : Réaliser des audits pour évaluer la performance des prestataires et identifier ceux qui ne répondent pas aux attentes ; Revoir et renégocier les termes contractuels.
En d’autres termes, supprimer les prestataires qui ne font pas l’affaire, les remplacer par de nouveaux, et faire encore baisser les prix .…Les mêmes choix entrainant les mêmes conséquences….

Il reste alors pour l’entreprise la possibilité d’investir sur la formation et du développement interne, ou d’internaliser les ressources clefs par le recrutement des prestataires

Ou alors être disruptif, et rompre avec la logique de massification habituelle dans le processus de référencement des ESN. Cela passera par la diversification des prestataires et l’innovation. De nombreuses plateformes sont apparues depuis quelques années, avec pour objet de fédérer les indépendants (Malt anciennement Hopwork ; Crème de la Crème ; LeHibou ; etc). L’avantage ici est que leur modèle économique diffère des ESN conventionnelles, ce qui in fine se traduit par un taux de marge appliqué au prix du freelance, moindre. Et un coût contenu pour l’acheteur.

A faire et à retenir

Sortir de l’impasse nécessite une approche proactive et flexible, combinant une évaluation rigoureuse des prestataires, des ajustements contractuels, une gestion proactive des relations, et un renforcement des capacités internes. En mettant en œuvre ces solutions, l’entreprise peut non seulement résoudre les problèmes actuels, mais aussi établir des bases solides pour des collaborations plus efficaces et bénéfiques à long terme.

Et concernant le sujet sur lequel j’avais travaillé :

  • La majorité des ressources informatiques expertes a été externalisée à l’étranger
  • L’entreprise a économisé 30% la première année (comparé à la situation avant référencement)
  • L’acheteur a obtenu une prime pour avoir fait économiser de l’argent à son employeur
  • L’entreprise a dépensé autant que ce qu’elle payait avant référencement, la deuxième année
  • L’entreprise a dépensé 30% de plus que ce qu’elle payait avant référencement, la troisième année

En résumé, une situation neutre pour l’entreprise. A la différence que les prestataires initiaux ont été remplacés par des profils certes experts, mais surtout basés à l’étranger, donc moins chers.